Naissance et enfance de Khariel
Khariel, séraphin de 60ème génération, naît en 11889 dans les bas-fours de Rahab, la capitale de Kether, royaume originel des séraphins. La cité vibre jour et nuit du grondement des enclumes, saturée de chaleur et de braises. Les pierres portent les cicatrices du feu, les vitraux fondus sont sans cesse remodelés par les artisans du brasier. Ici, chaque séraphin reçoit sa première éducation non dans une école, mais dans la forge, au rythme du marteau et du soufflet.
Dès son plus jeune âge, Khariel grandit bercé par les mythes héroïques de son peuple. Les conteurs de Rahab célèbrent les séraphins qui ont contenu les hordes démoniaques par leurs flammes, forgé des armes si puissantes qu’elles résonnent encore dans les guerres actuelles, ou brûlé jusqu’à la cendre pour préserver Kether de la corruption. Ces récits emplissent l’enfant d’admiration : el rêve de marcher dans les pas de ces héros incandescents.
Pourtant, son halo peine à briller. Là où les autres enfants de Rahab font crépiter de petites flammes dès leurs premiers jeux, Khariel n’émet qu’une lueur hésitante, vacillante, à peine capable d’éclairer son visage. Les anciens du quartier, assis devant leurs fourneaux, secouent la tête quand el passe :
— El sera peut-être plus braise que brasier.
Cette faiblesse lui vaut des moqueries. Mais si son feu ne rugit pas comme celui de ses pairs, son regard, lui, ne vacille jamais. À défaut de flamboyer, Khariel observe, apprend, retient chaque geste des maîtres forgerons, chaque secret des soufflets et des runes gravées dans le métal. Déjà, dans l’ombre des flammes, se dessine non pas un guerrier flamboyant, mais un artisan patient, qui tire de sa fragilité la force d’une ténacité inébranlable.
L’apprentissage auprès de Jurion
À l’adolescence, Khariel devient l’assistant du grand maître de forge Jurion, un séraphin respecté dont les flammes plient l’acier céleste comme de l’argile. Jurion règne sur les Forges de Rahab, vastes halls saturés de chaleur où des dizaines de séraphins frappent le métal sacré en cadence. Les voûtes résonnent d’un tonnerre constant, chaque étincelle se mêle au feu sacré des prières.
Khariel, la peau déjà marquée de brûlures, tient les pinces, actionne les soufflets, alimente les brasiers. Jurion l’appelle souvent sa petite étincelle. Sous son regard sévère mais bienveillant, le jeune apprenti apprend à graver ses premières runes dans le métal incandescent, à respirer en cadence avec le souffle du feu, à écouter le chant des lames naissantes.
Pourtant, l’ombre du doute persiste. Son halo reste faible, et certains compagnons de forge murmurent :
— Comment un brasier vacillant pourrait-il forger des armes pour Guebourah ?
Mais Jurion le défend. Devant les autres, el affirme :
— Le feu qui dure vaut mieux que l’incendie qui s’éteint.
Sous sa tutelle, Khariel développe une patience inébranlable. Là où d’autres se pressent et brisent leur ouvrage, lui polit et repolit, jusqu’à ce que le métal chante juste. Ses armes n’éblouissent pas encore, mais déjà, elles tiennent mieux en main, frappent avec plus de justesse.
Dans le tumulte des forges de Rahab, une relation singulière s’installe entre le maître flamboyant et l’élève discret. Jurion incarne la grandeur séraphine, Khariel la flamme obstinée qui refuse de s’éteindre. Ensemble, els forment un duo respecté.
Le départ vers Guebourah
En l’an 12034, un accord politique se conclu entre Kether et Guebourah. Les séraphins de Rahab, réputés pour leur maîtrise du feu sacré, sont envoyés soutenir les forges du royaume assiégé par la quatrième titanomachie, Malédicta. Jurion, maître de forge respecté, mène la chorale. À ses côtés marche Khariel, encore apprenti, les cœurs battant à l’idée de quitter pour la première fois son quartier natal. Entre soif et découverte et appréhension, el fait ses adieux à sa mère-azoha et à ses frères de nid.
Le voyage s’effectue à bord d’un immense vaisseau-monde, dont l’architecture céleste captive les passagers. Khariel, qui n’a jamais vu plus loin que les fourneaux de Rahab, explore avec fascination les ponts infinis, les jardins suspendus et surtout les forges internes où des flammes éternelles rugissent au creux des coques de cristal. Là, les séraphins entretiennent le feu même qui propulse le vaisseau sur les routes célestes.
Chaque jour, Khariel se perd dans la contemplation des portails ophaniques : d’immenses cercles luminiques tissés par les roues d’yeux qui ouvrent les passages entre les royaumes. Au travers des hublots, el voit défiler les chemins des âmes, ces fleuves luminiques qui serpentent dans l’espace, guidant les défunts vers leur source. La vision l’impressionne au point de lui nouer la gorge : el comprend pour la première fois que son existence, si modeste, participe à une Création infiniment plus vaste.
Après des semaines de traversée, la chorale atteint enfin Guebourah. À la descente du vaisseau, Khariel est frappé par la rudesse du royaume. Devant el s’étend un désert rouge, balayé de vents brûlants, où s’élèvent des cités d’obsidienne noires comme la nuit. Ces forteresses austères, taillées dans le cristal sombre, semblent prêtes à défier l’Abysse lui-même.
Conduits jusqu’aux forges guébouréennes, les séraphins découvrent des ateliers sombres, sans cesse envahis par le sable qui recouvre les enclumes et noircit les flammes. Le vacarme est différent de celui de Rahab : ici, chaque coup de marteau sonne comme une alarme, chaque étincelle comme un cri de guerre.
Khariel, encore ébloui par la splendeur du voyage, sent au fond d’el le poids de cette terre étrangère. Kether et ses mythes flamboyants paraissent déjà lointains. Désormais, sa vie se joue dans le royaume de la Sévérité, au cœur du désert rouge.
L’installation à Guebourah
La chorale de Jurion s’installe dans un nid-forge de Madim, la capitale de Guebourah. Rien à voir avec les halls rituels de Rahab. Ici, la pierre est noire, l’obsidienne absorbe la lumière, et le sable rouge s’infiltre partout : dans les poumons, dans les enclumes, jusque dans les flammes elles-mêmes. Chaque matin, les apprentis balaient les ateliers avant d’allumer les brasiers, mais le vent impitoyable efface sans cesse leurs efforts.
Jurion s’adapte rapidement. Sa flamme, vive et ardente, impressionne les puissances guébouréennes venues inspecter la forge. Elles savent reconnaître un maître : ses lames brillent d’un éclat pur, ses marteaux façonnent des armures qui résistent aux flammes démoniaques. Khariel, son assistant, le regarde travailler avec admiration, se disant qu’el tient entre ses mains l’héritage de Kether.
Mais très vite, Khariel remarque la rudesse de Guebourah. Les miliciens exigent toujours plus d’armes, toujours plus vite. Les puissances aboient leurs ordres comme on fouette une bête. Le feu sacré n’est pas honoré ici comme à Rahab : il n’est qu’un outil pour nourrir la guerre.
Dans les quartiers de Madim, des rumeurs circulent. Certains maîtres de forge auraient reçu des paiements occultes pour fournir en priorité tel command’aile ou tel archange. D’autres détourneraient des cargaisons de minerai, ou même des azohim, pour renforcer leur clientèle privée. Khariel tend l’oreille, inquiet, mais Jurion se contente de sourire avec ironie :
— Ici, petit, tout a un prix. Même le feu sacré.
Khariel baisse les yeux, troublé. Le maître qu’el vénère semble se laisser charmer par ces voix du désert. Pourtant, le jeune séraphin se console en se plongeant dans son travail : el polit, el grave, el apprend. Chaque jour, ses flammes hésitantes gagnent en force. Mais dans l’ombre des forges, la braise de la corruption couve déjà.
La chute de Jurion
Au fil des cycles, la réputation de Jurion grandit dans Madim. Ses flammes sont parmi les plus ardentes de Guebourah, ses armes les plus recherchées. Les puissances de la Milice affluent, impatientes de s’approprier ses chefs-d’œuvre. Jurion sourit, savoure cet honneur : dans ce royaume rude, el a trouvé une place d’élu.
Mais derrière les étincelles, les rumeurs deviennent certitudes. Khariel surprend des conversations étouffées, des regards lourds de secret. El voit des coffres circuler entre les mains de Jurion et de ses clients, mais détourne les yeux. Un soir, alors que les forges sont silencieuses, el surprend son maître en entretien avec un archange de Madim. Sur la table de bronze reposent non pas des lingots, mais une bourse scellée au sigle d’une maison princière.
— En échange, vous recevrez vos livraisons avant toute autre chorale, promet Jurion, sa voix basse mais ferme.
— Et les azohim ? demande l’archange. Je veux des portées entières pour mon domaine.
— Elles seront à vous.
Khariel recule, horrifié. Jurion, son maître, le modèle qu’il suivait depuis Rahab, se compromet pour des faveurs. Le feu sacré qu’el vénérait se réduit à une monnaie d’échange.
La nouvelle éclate bientôt au grand jour. Les miliciens els-mêmes murmurent : « Jurion a vendu la Forge. » Les autorités de Guebourah, embarrassées, transmettent le dossier à l’Inquisition de l’Ecclésia. Les inquisiteurs arrivent en procession dans Madim, auréolés de lumière blanche, leurs voix sèches traversant les murs d’obsidienne. Leur réputation les précède : là où els passent, nul secret ne résiste.
Rapidement, Jurion est convoqué devant le Tribunal. Le procès se tient dans la cathédrale de l’Ecclésia. Jurion est amené devant les juges, son halo vacillant mais ses yeux toujours brûlants. Les inquisiteurs énumèrent les preuves : pots-de-vin, cargaisons d’azohim détournées, faveurs accordées à des archanges cupides. L’assemblée attend qu’el se défende, qu’el implore pardon.
Au lieu de cela, Jurion redresse la tête et tonne :
— Oui, j’ai accepté ces cadeaux. Oui, on m’a offert des richesses et des azohim. Et pourquoi pas ?
Son halo explose d’orgueil.
— Qui, sinon moi, a forgé des armes capables de sauver leurs milices ? Qui, sinon moi, a trempé l’acier céleste pour retenir les hordes de Malédicta ? Ces dons ne sont pas de la corruption, mais des offrandes méritées à la grandeur de mon art !
Un silence de glace s’abat dans la cathédrale. Les inquisiteurs ne cillent pas. Leurs voix sèches claquent comme des marteaux :
— Tu appelles mérite ce qui n’est que vanité. Tu confonds la flamme sacrée avec la fumée de ton orgueil.
La sentence tombe comme un marteau sur l’enclume : Jurion est reconnu coupable de corruption. Ses ailes sont marquées de cendre. Son titre de maître lui est retiré. Ses forges sont confisquées par l’Ecclésia. El est emprisonné pour plusieurs siècles. Dans l’atelier vidé, Khariel reste seul, son marteau en main, son avenir consumé avec celui de son maître.
Mais l’Inquisition ne s’arrête pas là. Car Khariel, en tant qu’assistant, est soupçonné d’avoir su et de n’avoir rien dit. On l’arrache à son atelier et on l’amène devant le tribunal de l’Ecclésia. L’interrogatoire est rude. Les inquisiteurs fouillent son cas avec leur clairvoyance brûlante, le pressent de questions jusqu’à l’épuisement.
— Pourquoi n’as-tu pas dénoncé Jurion ?
— Je… je ne voulais pas croire ce que je voyais.
— Alors tu es complice de son silence.
Reconnu non coupable de corruption mais coupable de non-dénonciation, Khariel est condamné à une ordalie de pénitence. Dans la grande cathédrale de l’Ecclésia, el est conduit au cœur d’un cercle de flammes. Ses ailes sont enchaînées, et son esprit plongé dans une lumière aveuglante. Chaque prière, chaque injonction des inquisiteurs arrache des lambeaux de ses pensées, brûle ses doutes, ravive sa honte.
La douleur est insoutenable : el sent son âme comme martelée sur une enclume invisible. Mais el tient bon, les dents serrées, persuadé qu’el survivra à cette purification. Quand l’ordalie prend fin, el s’effondre, vidé, purifié mais marqué à jamais.
Libéré, Khariel sort de la cathédrale, titubant. Les passants détournent le regard : el n’est pas criminel, mais el porte la marque de l’Inquisition. Désormais, el n’est plus seulement l’assistant du maître déchu : el est celui qui a survécu au feu blanc de l’Ecclésia.
La renaissance de Khariel
Lorsque l’Inquisition de l’Ecclésia ferme les ateliers de Jurion, Khariel se retrouve sans maître, sans forge, et sans avenir. Ses compagnons d’atelier l’évitent. Les puissances de la Milice, qui hier encore venaient admirer les armes de Jurion, passent devant el sans un regard. Dans les rues de Madim, on murmure :
— C’est l’assistant du corrompu.
— El finira comme lui.
Isolé, Khariel refuse pourtant de quitter Guebourah. Abandonner son poste serait une hérésie. Alors, el trouve refuge dans un hangar abandonné aux abords de la capitale. Là, el rallume un brasier vacillant, nourri de charbon et de prières. La fumée s’infiltre par les fissures du toit, le sable rouge recouvre chaque enclume, mais Khariel persiste.
Ses premiers ouvrages sont modestes : des dagues de fer, des pièces d’armure réparées à la hâte. Les miliciens viennent en cachette, payant peu, mais surpris de la solidité de ses forges. Khariel polit chaque lame avec patience, grave chaque rune comme si elle portait en elle une part de son serment : « Forger sans corrompre. »
Les nuits sont longues. El travaille seul, le corps brisé, les ailes couvertes de cendres. Mais son feu gagne en intensité. Ce n’est plus la flamme hésitante de l’enfant de Rahab : c’est une braise obstinée, qui refuse de s’éteindre.
Un soir, une escouade de puissances revient du front, meurtrie par une embuscade démoniaque. Leurs armes, forgées à la hâte par une autre chorale, se sont brisées dans la bataille. Khariel leur tend ses propres lames. Les puissances les prennent à contrecœur, mais reviennent quelques jours plus tard, étonnées :
— Tes armes ont tenu, braise. Elles mordent juste, elles ne plient pas.
La rumeur se répand. Dans les tavernes d’obsidienne, on commence à dire :
— Le fils de la Forge rouge fabrique des armes dignes de confiance.
Pour la première fois depuis la chute de Jurion, le nom de Khariel circule non plus dans la honte, mais dans l’admiration.
L’apogée de Khariel
La quatrième titanomachie fait rage. Les déserts de Guebourah se couvrent de sang et de flammes, les forteresses d’obsidienne ploient sous l’assaut des hordes démoniaques. Dans ce chaos, les armes de Khariel circulent de main en main. Forgées dans son modeste hangar, elles gagnent le front par les escouades qui osent encore lui faire confiance.
Un soir, la clameur secoue Madim : une armée démoniaque a percé les lignes. Les puissances de la Milice sont encerclées dans un canyon, leurs armes brisées, leurs armures fissurées. L’escouade de Rondriel, une puissance respectée, se prépare à mourir dans le sable rouge. Mais parmi leurs équipements, il reste une caisse entière de lames forgées par Khariel.
Els dégainent, désespérés. Et contre toute attente, les armes flambent au contact des démons. Les runes gravées par Khariel s’illuminent d’un feu obstiné, déchirant la chair noire comme si le métal lui-même refusait la corruption. Dans le vacarme de la bataille, les puissances comprennent : ces lames ne plieront pas. Elles les sauveront.
L’escouade résiste une douzaine d’heures. Quand enfin les renforts arrivent, le canyon est jonché de cadavres démoniaques, et les survivants brandissent encore leurs armes intactes. On chante alors dans Madim :
— C’est Khariel qui nous a armés. Sans el, nous serions tous morts.
La nouvelle se répand comme une traînée de feu. Les command’ailes réclament désormais ses forges. La Milice elle-même le convoque pour lui confier un atelier officiel. Khariel, autrefois l’assistant du maître déchu, devient un forgeron reconnu, un nom prononcé avec respect même dans les salles d’obsidienne de la capitale.
Mais au fond d’el, el reste marqué par la honte de Jurion. Lorsqu’on lui demande de prêter serment à la Milice, el répète la phrase qui guide chaque coup de son marteau :
— Forger sans corrompre.
Ainsi, la braise vacillante de Rahab devient un brasier incorruptible, illuminant Guebourah de sa flamme obstinée.
Le mariage de Khariel
La renommée de Khariel finit par dépasser les frontières de Madim. Ses armes circulent dans tout Guebourah, réputées pour leur solidité et leur feu incorruptible. Les command’aile eux-mêmes reconnaissent que ses forges sont devenues indispensables à la défense du royaume. En récompense de ses services, l’Ecclésia et la Milice lui octroient un honneur rare : une épouse azoha.
Le mariage se tient dans une chapelle de cristal noir, au cœur de Madim. Les flammes sacrées illuminent la nef, se reflétant sur les vitraux d’obsidienne. Khariel, vêtu de braises dorées, avance d’un pas solennel. À ses côtés, l’azoha s’avance, parée d’un manteau de fils de mercure. Son halo translucide scintille comme une aurore, émerveillant Khariel.
Leur union est célébrée comme une victoire de la flamme et de la chair. Ensemble, els donnent naissance à plusieurs enfants, dont les halos brillent d’un feu ardent, plus vif que celui de leur père. Khariel voit en els le signe que sa lignée, autrefois vacillante, est destinée à briller.
Dans ses ateliers, el initie ses fils et ses filles au maniement du marteau. Mais surtout, el leur enseigne l’art difficle de canaliser son feu. Inutile de noyer les armes sous la chaleur. Un feu moins fort mais endurant est ce qui confie à une arme sa durabilité. Sous ses mains, les cristaux guébouréens se transforment en lames luminescentes capables de fendre les armures démoniaques. Ses enfants répètent les gestes, gravent les runes, alimentent les fourneaux.
Bientôt, les ateliers résonnent de nouveaux marteaux, plus jeunes, plus vigoureux. Les lames issues de la maison de Khariel deviennent recherchées dans tout Guebourah. Non seulement le forgeron a sauvé une génération de miliciens, mais el a fondé une dynastie de flammes, dont l’art se perpétue de bras en bras, de cœur en cœur.
L’assaut des démons
Un soir de tempête rouge, alors que le vent hurle contre les murailles de Madim, une déchirure de l’espace-temps s’ouvre au-dessus des forges de Khariel. Le ciel se plisse comme une plaie et vomit une horde démoniaque. Les braises se dispersent, les flammes se tordent, et les ateliers deviennent un champ de bataille.
Les apprentis crient, les enclumes s’écroulent. Les enfants de Khariel, qui polissent des lames de cristal dans l’atelier voisin, se retrouvent face à des silhouettes noires qui rampent hors de la déchirure. Les démons, faits de sable et de chair corrompue, se ruent vers els, attirés par la lumière des jeunes halos.
Sans hésiter, Khariel arrache son marteau des flammes. Son feu sacré explose autour d’el comme un brasier vivant.
— Reculez ! hurle-t-el à ses enfants. Courez vers la salle intérieure !
Le sol tremble sous les coups de ses flammes. Chaque impact de son marteau réduit un démon en cendres, chaque rugissement embrase l’air de chaleur divine. Mais pour chaque ennemi détruit, trois autres franchissent la faille.
Les enfants trébuchent, les démons s’approchent. Alors Khariel fait ce qu’el n’a jamais imaginé faire : el se lance au combat. Comme un guerrier mythique, ses ailes s’embrasent entièrement, ses plumes deviennent étincelles. Dans un rugissement, el repousse la horde et abat une muraille de feu entre la faille et ses enfants.
Le sacrifice est terrible. Les démons répliquent sauvagement, entre crocs empoisonnés et griffes arracheuses. Mais ses enfants survivent. Les puissances de la Milice arrivent enfin et referment la déchirure d’un coup de prière. La forge est à moitié détruite, les murs noircis, les enclumes brisées. Au milieu des ruines, Khariel s’effondre, le corps brisé.
Ses enfants se précipitent vers el, hurlant. Le forgeron leur sourit faiblement, sa voix rauque :
— N’oubliez jamais… le feu sacré ne doit servir qu’à protéger la Création. Pas à la corrompre.
Transporté aux soins, Khariel survit, mais garde des blessures irréversibles. Sa respiration devient haletante, ses ailes sont marquées de larges cicatrices. Son corps n’est plus celui d’un guerrier : mais ses mains, malgré la douleur, refusent de lâcher le marteau.
La fin de Khariel
Les blessures laissées par l’assaut démoniaque ne guérissent jamais vraiment. Les flammes qu’el a invoquées ce jour-là ont consumé une partie de son souffle vital. Khariel ne peut plus frapper l’acier comme autrefois : chaque inspiration est une douleur, chaque battement de ses ailes lui arrache des gémissements. Pourtant, el refuse de quitter la forge.
Assis près du brasier, el guide désormais ses enfants et ses apprentis d’une voix grave et haletante. Ses mains brûlées tremblent lorsqu’el saisit un marteau, mais ses yeux brillent toujours de la même obstination.
— Plus lentement… frappe au rythme du feu… écoute le cristal avant de le forcer…
Ses enfants le regardent avec un mélange de crainte et de vénération. Els comprennent que leur père s’éteint, mais aussi qu’el transmet tout ce qu’el a de plus précieux. Khariel enseigne non seulement les gestes, mais aussi son serment : « Forger sans corrompre. »
Les cycles passent. Sa barbe se couvre de cendres grises, son halo flamboie faiblement mais résiste. Enfin, après mille-huit-cent-cinq ans d’existence, son souffle s’éteint dans son atelier. Ses enfants et ses apprentis l’entourent. Le marteau repose encore dans sa main, comme s’el avait frappé une dernière fois le cristal.
La nouvelle de sa mort se répand dans Madim. On dit :
— Khariel n’était qu’une braise à Rahab. Mais à Guebourah, el est devenu un brasier.
Son corps est incinéré dans les flammes de sa propre forge, et ses cendres sont mêlées au sable rouge du désert. Ses enfants reprennent l’atelier, perpétuant l’art du cristal qu’el leur a enseigné. Dans les archives de la Milice, son nom est inscrit aux côtés de celui de Jurion : un rappel cruel que l’un s’est consumé dans l’orgueil, tandis que l’autre a brûlé pour la loyauté.
Et dans les tavernes de Guebourah, les vétérans répètent encore :
— C’est Khariel qui nous a armés.